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filles de pandore
version #2
2024
installation-environnement à explorer pieds nus
citations d’autrices Beat à l'encre de Chine sur draps de lit : Lénore Kandel, Denise Levertov, Diane di Prima, Hettie Jones, Elise Cowen, Mary Norbert Körte, canevas trouvé & jarres en terre cuite encrées, partiellement plâtrées, bris de couvercle, jarre sonorisée reliée à casque d'écoute, blanc de Meudon, pigments
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vue de l'exposition Fièvre Capricorne, Galerie de l'Office du tourisme, Machecoul-St-Même.
Dans le cadre de la saison culturelle de Sud-Retz-Atlantique Femmes créatrices, Femmes artistes, avec le soutien du Département de Loire Atlantique & de la Drac des Pays de la Loire.
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filles de pandore

Les filles de pandore, avril 2024

texte d'Aurélie Gatle

 

 

La jarre, ce récipient au contenant symbolique parle à qui sait entendre des femmes : de leur dualité, de leur corps, de leur labeur, de leur place culturelle et sociale, de leur légende, mais par dessus tout de leur puissance à ne pas se laisser façonner.

Celles que Caroline Bron glane de-ci de- là, portent des imperfections, des marques qui se révèlent être autant d’indices dans lesquels se cachent les invisibilisé.es.
Ceux et celles que la mémoire collective n’a pas retenu et dont l’artiste cherche à traduire dans la matière les histoires enfermées.


En Occident, l’Antiquité gréco-romaine fut l’un des berceaux de productivité sérielle et d’exportation massive des jarres. Son omniprésence dans la vie quotidienne n’a d’ailleurs pas manqué de créer une déclinaison métaphorique pour quelques préceptes philosophiques. Au IIIe s. avant J.C, par exemple les écrits d’Aristote se plaisent à voir en la femme un réceptacle passif*1 comparable dans sa forme à celui d’une amphore. Ce second rôle allait progressivement conférer aux infortunées le glorieux statut  « d’être objet ! ».
Un corps contenant de l’intérieur vers l’extérieur la marque de la supériorité des hommes. S’il existe des penseurs pour orienter les Hommes vers la raison, il est des mythes plus influents encore. Celui relaté par Hésiode « le mythe de Pandore*2 ! », a longtemps permis à ses successeurs d’ériger la femme comme unique vecteur du péché originel.

 

Pourquoi donc continuer de narrer ce mythe au XXIe s. ?

Pour échapper à sa littéralité*3, pour fuir le piège du leurre narratif, plus encore pour comprendre l’importance de interprétation des textes et leur pouvoir d’action sur le réel. A travers son installation, Caroline Bron déconstruit le mythe, elle le revisite pour en offrir une version moins figée. Ici les femmes sont invitées à s’émanciper de l’objet de leur assimilation, à s’extraire des jarres. Une fois parvenues à surmonter cet effort elles peuvent rejoindre la source/la connaissance, et d’une eau nouvelle remplir les contenants de leurs histoires.

 

C’est alors qu’apparaît un autre signifiant, la jarre regagne sa définition étymologique – de l’arabe < جَرَّة /jarra, entendu comme un « vase d’argile à large bouche ». L’argile, la matière qui modela le corps de la première femme et la bouche souvent restée silencieuse, désormais s’ouvre et se met à parler.
Dans cette version de l’installation, les jarres de l’exposition sont ouvertes, parfois brisées, de chacune sortent de long tissus vierges ou recouverts de mots à peine lisibles par le public. L’encre noire et la graphie, parfois brute, viennent matérialiser la parole, qui partout s’écoule.


Ces textes qui émanent dans l’espace, sont issus des mots que Caroline Bron a emprunté dans les écrits des poétesses de la Beat Generation  :
Lénore Kandel, Denise Levertov, Diane di Prima, Hettie Jones, Elise Cowen, Joanne Kyger, Ruth Weiss, Janine Pommy Vega, Mary Norbert Körte, Anne Waldman et bien d’autres encore.
Un spécialiste de ce mouvement - Olivier Penot-Laccasagne - écrit à leur propos « On sera gré à ces femmes d’avoir soulevé le couvercle de la domination masculine pour laisser passer le parfum d’une autre façon de vivre et de penser le monde *4 ».
On perçoit alors la puissance révolutionnaire que les écrits de ces femmes ont pu apporter, les chants d’amour et d’afflictions qu’ont été leurs vies et leurs œuvres.


En suivant l’élan de ces femmes, Caroline Bron collecte leurs mots et telle une ouvrière brodeuse, elle découpe aléatoirement les textes originaux pour en former des nouveaux. Assembler ainsi des fragments de textes revient à répéter une technique littéraire bien connu, celle du cut-up [découper puis assembler des fragments de textes pour créer un récit]. Parfois, le hasard est incisif et compose «dans le noir profond du désir». L’écriture atmosphérique garde la trace des énergies qui l’ont portée: l’ardeur des femmes en marge de la société prêtes à tout bouleverser.
En 2024, que toutes les poétesses soient ici saluées, celles qui continuent à tisser la voie du vivant et à renforcer la trame indestructible des solidarités. Comme Caroline Bron qui à la frontière de la sculpture et de la poésie [rapiécée], réinvente mère-matrice. Veillant toujours quelque part à perpétuer la lignée des  Filles de Pandore.

Pour mieux en saisir la portée, une fois déchaussé, le public est invité à marcher à côté de ces tissus, à laisser prédominer le mouvement qui se fera liaison entre les jarres. Remonter le cours de ces ruisseaux d’écritures, en rechercher la source, regarder sous les yeux les phrases s’auto-engendrer. A la manière d’un funambule danser des mots, écouter les messages se délivrer et s’évaporer.
Bien plus encore, aborder un mystère qui demeure : celle de la jarre fermée !
A l’intérieur, un son difficilement perceptible prend forme. Ne sachant pas ce qu’il est, ni ce qu’il exprime, il devient une forme active à la frontière de l’imaginaire. Il nous enjoint à agir. Ouvrir la jarre défendue ? Vous voici face au tour de force de cette installation, mettre à nouveau en acte la puissance de l’espoir.

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NOTES

*1* Philippe Remacle, Aristote, Traité de la Génération des animaux et Parties des animaux [en ligne].[ref 1999].
Disponible sur : https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/tablegeneration.htm


*2* Résumée du mythe :
Souvenez-vous : le Titan Prométhée déroba aux dieux de l’Olympe le feu pour le donner aux hommes. Son impudence l’entraîna dans un châtiment bien célèbre. Toutefois cela ne contenta pas la colère de Zeus, qui décida d’aller plus loin encore dans sa vengeance. Il intima l’ordre à Héphaïstos de l’aider à créer dans l’argile la première femme de l’humanité qui mènerait les mortels à leur perte. Fière de sa création, elle fut présentée à l’assemblée des dieux et déesses dont chacun.e se plut à agrémenter la créature pour lui faire atteindre sublime perfection (par exemple : Athéna lui insuffla la vie, Aphrodite lui donna la beauté et la séduction, Apollon la maîtrise des arts, Hermès la parole et l’art du mensonge...). Cette divinité d’apparence n’en restait pas moins une humaine et fut envoyer sur Terre pour épouser Épiméthée, frère de Prométhée. Avant de partir Zeus , remis à Pandora une jarre et l’ordre de ne jamais tenter de l’ouvrir. En effet, cette jarre contenait tous les maux de l’Enfer : vieillesse, maladie, guerre, famine, tromperie, vice, folie, orgueil.... Ces calomnies ainsi regroupées et éloignées du royaume divin, permettaient de maintenir un équilibre universel en purifiant le monde céleste, et condamnant celui des Hommes.Bien que Prométhée avait mis en garde son frère de ne jamais accepter un cadeau de Zeus, celui-ci n’écouta pas la sage recommandation et tomba amoureux de Pandora. Pour ce premier couple de l’humanité, les jours s’écoulaient paisiblement et chaque soir, la jeune femme s’approchait de la mystérieuse jarre résistant à la tentation d’enfreindre l’ordre reçu. Or l’appel de la connaissance fut trop forte et un soir Pandora souleva le couvercle. Aussitôt tous les maux contenus dans le vase s’échappèrent et se répandirent sur la Terre. Zeus intervint pour lui faire refermer la jarre, juste avant que le dernier élément ne put s’en échapper : l’espérance. Toutefois, il était trop tard, la malédiction commença à s’installer en chaque peuple qui peu à peu se mit à connaître les tourments, la souffrance et la mort. L’âge d’or où les hommes et les dieux vivaient confondu et en harmonie pris fin, les séparant à jamais.


*3* Dialnet, Michèle Ramond, Filles de Pandore, Université Paris 8 [en ligne].[2005].
Phrase complète « Tant il est vrai qu’un mythe n’est jamais pris suffisamment au pied de la lettre : sa littéralité est le refoulé de son histoire et l’histoire qu’il raconte est un leurre où l’humanité se piège. Les préjugés sur Pandore […] ont ainsi faussé sa fonction herméneutique heuristique. Et ils ont porté tort pour des siècles aux filles de Pandore, toujours suspectes de féminités mensongères et dangereuses. »


*4* Olivier Penot-Lacassagne (sous la dir.), Beat Generation. L’inservitude volontaire, Paris, CNRS Edition, 2018.



Illustrations :

Photographie de l'autrice britanique Virginia Woolf (1892-1941) dans son jardin de Monks House, 1931. Credit: Harvard théâtre collection, the Houghton library and the Society of Authors.

Assemblage : Nu féminin assis dans un vase antique de forme tubulaire, plâtre, terre-cuite, A. Rodin. © musée Rodin descargar

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